Faire un don

Isabelle et Thomas Mordant, un duo mère-fils à toute épreuve !

Interview réalisée en février 2020 par Giulia Valerio (engagée du Service Civique à VECV).

Télécharger le fichier ici

Suite à la Conférence Nationale du Handicap 2020 du 11 février dernier, avec la présence du Président de la République Emmanuel Macron, de Sophie Cluzel (secrétaire d’État chargée des personnes handicapées) et de nombreux ministres du Gouvernement, la question de la prise en charge et de la scolarisation des personnes malades et en situation de handicap a été portée au cœur du débat. Pour cela, nous avons invité Isabelle Mordant et son fils Thomas Mordant, ancien élève à VECV à parler de leur histoire et du parcours prometteur de ce dernier, atteint par la maladie des os de verre.

 Pouvez-vous vous présenter ?

(Isabelle) Je suis la mère de Thomas, il est né lorsque je terminais mes études et sa maladie a fait que je n’ai pas pu travailler. J’ai consacré mes vingt dernières années à m’occuper de mes enfants et surtout à accompagner Thomas dans ce chemin un peu particulier que sont l’enfance et l’adolescence d’une personne handicapée.

Thomas a été scolarisé à temps partiel à Votre École Chez Vous, du CE2 à la Terminale (2006-2013). Il a obtenu 18,97 de moyenne générale au baccalauréat scientifique, avec trois années d’avance, puis a effectué deux années de classes préparatoires pour intégrer l’École Normale Supérieure avant ses 17 ans.

(Thomas) Je suis Thomas Mordant, je suis atteint d’une forme très rare de la maladie des os de verre qui rend mes os très fragiles et qui m’empêche de marcher ou d’écrire. Je suis actuellement doctorant en mathématiques à l’université d’Orsay. Dans la vie, j’aime beaucoup les mathématiques, lire des romans et des pièces de théâtre, la musique classique comme Mozart et j’aime aller à l’opéra.

D’où vient cette passion pour les mathématiques ?

(Thomas) Le fait que je ne puisse pas écrire, ou me déplacer dans des lieux publics m’a poussé à aimer des choses un peu plus cérébrales

« Mystère de la Fragilité »

 Pouvez-vous nous présenter votre livre ?

(Isabelle) J’ai publié au printemps dernier, un livre qui s’appelle Mystère de la Fragilité, dans lequel je raconte le parcours de Thomas depuis sa naissance jusqu’à son entrée à l’École Normale Supérieure. J’ai souhaité écrire ce livre pour partager notre expérience de ce qu’est la vie d’une personne handicapée, qui est une expérience assez différente de ce que les gens peuvent imaginer : contrairement à ce que l’on croit parfois, être handicapé n’est pas un cauchemar parce qu’on peut vivre de très belles choses malgré la maladie ou le handicap.

Qu’avez-vous ressenti en l’écrivant ?

(Isabelle) Écrire ce livre a parfois été éprouvant, puisque j’ai été obligée de me remémorer des épisodes extrêmement douloureux de la maladie de Thomas. Malgré cela, je suis contente du résultat, et fière que cet ouvrage soit publié, car il me semble que l’histoire de Thomas, si singulière soit-elle, a une portée universelle. Si je n’avais pas écrit ce livre, cette expérience serait perdue.

Quels retours en avez-vous eus ?

(Isabelle) J’ai eu beaucoup de retours positifs de la part de personnes malades, handicapées ou de leurs familles. Il y a des personnes qui me disent qu’elles se reconnaissent dans notre histoire et ça me fait plaisir : ça veut dire que je ne me suis pas trompée en ayant l’impression que Thomas représentait une cause plus générale.

J’ai eu aussi des retours de personnes qui ne sont pas du tout confrontées à ces questions-là et qui découvrent ce que sont le handicap et la maladie, ce que c’est de vivre aujourd’hui dans notre société avec un handicap. Je suis satisfaite que ces problématiques soient mises sur la table, mais je voudrais aussi que les politiques se rendent compte des dysfonctionnements et qu’ils les résolvent.

« On se bat en permanence contre un système »

 Pensez-vous que notre société accueille convenablement ses enfants malades ou en situation de handicap ?

(Isabelle) Notre société n’est pas encore complètement capable d’accueillir et d’accompagner de manière vraiment digne les personnes handicapées et plus particulièrement les enfants handicapés dans le cadre de leur scolarisation. C’est ce que j’ai pu observer au fil du parcours scolaire de Thomas, qui a un handicap très lourd, mais qui a un cerveau qui fonctionne parfaitement : la suite de ses études et son début de carrière en sont la preuve. Pourtant, même avec cette faculté, il a été très compliqué de l’intégrer dans le système scolaire ordinaire.

Comment est-ce que ça s’est passé pour Thomas ?

(Isabelle) Ce que je retiens de ces vingt dernières années, c’est le parcours du combattant pour permettre à Thomas d’aller à l’école. Il a eu la chance de trouver des établissements et des auxiliaires de vie scolaire à la hauteur, mais il a fallu se battre à chaque fois pour les trouver, les démarches sont compliquées et parfois on n’est pas aidé. Le principal problème ce sont les administrations comme l’Éducation nationale qui est extrêmement rigide et a beaucoup de mal à aménager la scolarité pour des enfants malades ou handicapés. C’est tout un système qui doit être remis en question. En revanche, si Thomas a réussi, c’est bien grâce à des enseignants, à des établissements scolaires et des auxiliaires de vie scolaire qui ont justement été à la hauteur de ce genre d’enjeux.

 Comment l’avez-vous ressenti ?

(Isabelle) J’ai l’impression qu’en tant que parent d’enfant handicapé, on se bat en permanence contre un système qui nous dit que la priorité pour notre enfant, c’est de le soigner et pas de le scolariser comme tout autre enfant. C’est une grave erreur à laquelle Votre École Chez Vous remédie. Pour un enfant, aller à l’école est le signe d’une vie normale cela lui permet d’avoir d’autres préoccupations et objectifs que ceux qui tournent autour de la maladie. Lorsque l’enfant passe d’une école ordinaire à une école à domicile c’est compliqué à gérer, puisque la maladie prend le dessus. Il se retrouve rapidement isolé et la souffrance morale s’ajoute à la souffrance physique. Et c’est là que Votre École Chez Vous a joué un rôle crucial : nous avons tous deux le souvenir de l’enseignant qui arrivait comme une bouffée d’air frais, c’était comme si le monde venait à nous. Nous avions l’impression que Thomas faisait toujours partie de la société.

« Votre École Chez Vous dans tout ça ? »

 Pourquoi avoir choisi VECV ?

(Isabelle) Votre École Chez Vous a été très bénéfique pour Thomas. À l’origine, il était intégralement scolarisé en milieu scolaire ordinaire et à cause de sa maladie, il s’est retrouvé totalement déscolarisé durant toute l’année de CE1. Pour pallier ce manque, j’avais fait des recherches pour finalement découvrir l’existence de Votre École Chez Vous. Cette solution permettait, en fonction de l’état de Thomas, une scolarisation totale à domicile ou bien une scolarisation partielle, avec un mi-temps à domicile avec la présence physique d’un enseignant, et un mi-temps au sein d’une école ordinaire. Cela lui permettait d’avoir aussi une vie à l’extérieur.

(Thomas) J’ai l’impression que ça m’a vraiment aidé à compléter ma scolarité, parce que mon état de fatigue ne me permettait pas de suivre la totalité des cours dans une école ordinaire. Du coup, VECV m’a bien aidé à étudier certaines matières.

Comment ça s’est passé avec VECV ?

(Isabelle) J’ai trouvé extrêmement adroite la façon dont a fonctionné Votre École Chez Vous avec Thomas, parce qu’il fallait mixer une scolarité en milieu ordinaire avec la scolarité à VECV, ce qui nécessitait beaucoup de diplomatie et de souplesse de la part de l’équipe.

J’ai trouvé remarquable que les directrices et les enseignants aient la capacité de s’adapter à la maladie ou au handicap et de s’insérer dans le système sans qu’il y ait des couacs. L’équipe a toujours été bienveillante, sans pour autant arborer une attitude de misérabilisme ou d’apitoiement qu’on a parfois pu ressentir ailleurs.

J’ai vu que vous aviez rencontré Cédric Villani qui est aujourd’hui candidat à la Mairie de Paris. Pourquoi l’avez-vous rencontré ? Et pensez-vous que cette rencontre a eu un impact sur sa façon de voir les choses ?

(Isabelle) En fait, Thomas avait rencontré Cédric Villani quand il était en classe préparatoire. Son lycée avait organisé une conférence avec Cédric Villani.

(Thomas) Et les organisateurs ont décidé que Cédric Villani viendrait chez moi avant la conférence pour discuter un peu. On a parlé de mathématiques et du métier d’enseignant-chercheur. Il s’est ensuite intéressé à mon parcours. Cette conférence m’a permis de rencontrer un chercheur brillant que j’admire, nos échanges m’ont été très enrichissants.

(Isabelle) À ce moment-là, il n’était pas engagé en politique. Par la suite, je lui ai envoyé une copie de mon manuscrit, qu’il a accepté de préfacer. Il m’a ensuite dit qu’il n’avait pas soupçonné toutes les difficultés auxquelles nous avions dû faire face, et qu’il avait cru au contraire que l’entrée de Thomas à l’École Normale Supérieure était la preuve que le système fonctionnait correctement.

Je pense donc que cette lecture lui a permis d’ouvrir les yeux sur la situation dramatique à laquelle certaines familles font face. Après, est-ce que ça suffit pour que ça ait des répercussions politiques concrètes ? Je n’en suis pas sûre.

Est-ce que vous pensez que vous êtes un modèle à suivre pour tous ces enfants en situation de handicap qui peuvent parfois se sentir impuissants ?

(Thomas) Je serais content si je pouvais l’être. C’est bien si mon parcours peut montrer que le handicap n’est pas la fin du monde, que nous pouvons toujours être guidés par nos passions et par nos projets plutôt que par la maladie.